Je suis assez « ancien » pour avoir
en mémoire un souvenir du temps où l’on distribuait du « pain béni »
aux enfants qui n’étaient pas en âge de communier. Je me vois, petit bonhomme
de cinq ou six ans, à la sortie de l’église ou un homme se tenait à l’extérieur
sur le perron et distribuait des petits pains aux enfants qui défilaient devant
lui.
Je me souviens aussi du sentiment d’anticipation
avec lequel j’ai tendu la main pour en accueillir un. Occasionnellement, ma
mère faisait du bon pain frais dont je raffolais, particulièrement quand il
était encore chaud et qu’il faisait fondre le beurre. Mes narines et mes
papilles gustatives ont gardé le souvenir de ces jours-là. J’ai attendu d’être
rendu au bas de l’escalier de ciment avant de mordre dans le petit pain. C’est
avec un mélange de surprise, d’incompréhension et de désenchantement que j’ai
constaté que ce « pain béni » n’avait rien en commun avec celui de ma
mère. Il était sans saveur et presque sec. Après cette journée-là, il ne me
serait jamais venu à l’idée « d’ambitionner sur le pain béni. »
« Faut pas ambitionner sur le pain béni. »
Cette expression m’est revenue en tête récemment lors d’une conversation avec
un ami qui, en parlant de la miséricorde de Dieu et du pardon qu’il accorde au
pécheur m’a dit, « Dieu est bon mais il n’est pas bonasse. » Je comprends
ce que mon ami voulait souligner en faisant cette distinction entre bon et
bonasse, mais l’expression me laisse avec le même goût dans la bouche que celui
du petit pain béni de mon enfance. Le pardon de Dieu n’est pas du tout comme le
pain presque ranci que les marchands qui voulaient bien paraitres aux yeux de
Monsieur le curé donnaient aux paroisses parce qu’il était si vieux qu’ils ne
pouvaient plus le refiler à leurs clients. Ce pardon est toujours donné
gratuitement et sans réserve. Il n’a pas de date d’expiration. Dire que Dieu n’est
pas « bonasse » laisse entendre qu’il pourrait se raviser et reprendre
ce qu’il nous a donné une fois pour toutes. Même s’il peut ne pas être
accueilli, son par-don est total et sans retour. Comme l’étaient les bonnes miches
chaudes de ma mère, le pardon de Dieu est pétri avec un amour inconditionnel. C’est
son ingrédient principal. Merci maman. Merci Seigneur.