La maladie de François me bouleversait. La
veille de mes visites avec lui, je dormais très peu et je ne dormais pas
beaucoup plus la nuit qui suivait mes visites. Quand j’allais visiter Jean-Guy,
ma réaction était tout à fait différente. Même si j’étais triste en pensant à
ce qu’il vivait et à la fin qui s’en venait, je me sentais en paix malgré tout
et j’étais heureux de passer du temps avec lui. En constatant cette différence
dans ma façon de réagir à la maladie de l’un et de l’autre, je me suis demandé pourquoi
cette différence. Ce n’était certainement pas parce que j’aimais moins Jean-Guy
que François.
Le traumatisme que causait en moi la maladie
de François était telle que j’ai ressenti le besoin de chercher de l’aide. Pendant
les quelques semaines qu’ont duré les sessions de counseling, il m’est venu à
l’idée de faire un « inventaire » de toutes les fois que j’avais
croisé la mort dans ma vie. Ce que j’ai constaté, c’est que la mort de
certaines personnes m’avait profondément troublé, tandis que d’autres morts,
même si elles avaient été difficiles à vivre, ne m’enlevait pas ma paix
profonde. Je me suis souvenu, entre autres, d’un autre accompagnement que j’avais
fait quelques années auparavant, un homme atteint d’une tumeur inopérable au
cerveau. J’ai visité cet homme à toutes les semaines pendant plusieurs mois,
mais je ne me suis jamais senti totalement à l’aise avec lui. J’avais pourtant
accompagné bien d’autre personnes très malades avant lui. Alors, pourquoi ce
malaise? C’est pendant ces session de counseling que j’ai finalement compris
pourquoi la maladie de François et celles de certaines autres personnes que j’avais
connu dans le passé m’avaient tellement perturbé, beaucoup plus que celle de d’autres
personnes dont les maladies n’étaient pourtant pas moins sérieuses.
Ce n'était pas la mort comme telle qui me
troublait tant, mais la cause de la mort. Je me suis rendu compte que quand une
maladie atteignait le cerveau d’une personne, cela faisait surgir une anxiété profonde
en moi. Plus ou moins inconsciemment, j’avais toujours perçu mon cerveau comme
le siège de mon identité. S’il était atteint, s’il mourait, c’est mon
identité-même qui était perdue.
Prendre conscience de cela m’a permis, avec
le temps, d’apprivoiser même les morts qui surviennent à cause de maladies qui
atteignent le cerveau. Elles ne me hantent plus comme elles le faisaient, sans
que je le sache, auparavant. Quand je visite François maintenant, je peux le
faire sans que ma paix profonde soit affectée. J’ai aussi compris que l’identité
de François et la mienne ne dépende pas de notre cerveau. Même sans ses
facultés mentales, François demeure la personne unique qu’il a toujours été et qu’il
sera toujours… même après sa mort. La mort n’a pas de prise sur qui il est ou
qui je suis en profondeur.
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