Tuesday, 8 February 2022

Apprivoiser la mort

Il y a quelques années, quand son cancer du côlon est revenu après quelques mois de rémission et qu’il n’y avait plus d’espoir de guérison, j’ai accompagné mon frère Jean-Guy dans sa maladie. La même année, j’accompagnais mon frère François qui était dans une résidence de soins de longue durée. Il était atteint de la maladie d’Alzheimer et ses facultés diminuaient rapidement. J’allais les visiter tous les deux régulièrement.

La maladie de François me bouleversait. La veille de mes visites avec lui, je dormais très peu et je ne dormais pas beaucoup plus la nuit qui suivait mes visites. Quand j’allais visiter Jean-Guy, ma réaction était tout à fait différente. Même si j’étais triste en pensant à ce qu’il vivait et à la fin qui s’en venait, je me sentais en paix malgré tout et j’étais heureux de passer du temps avec lui. En constatant cette différence dans ma façon de réagir à la maladie de l’un et de l’autre, je me suis demandé pourquoi cette différence. Ce n’était certainement pas parce que j’aimais moins Jean-Guy que François.

Le traumatisme que causait en moi la maladie de François était telle que j’ai ressenti le besoin de chercher de l’aide. Pendant les quelques semaines qu’ont duré les sessions de counseling, il m’est venu à l’idée de faire un « inventaire » de toutes les fois que j’avais croisé la mort dans ma vie. Ce que j’ai constaté, c’est que la mort de certaines personnes m’avait profondément troublé, tandis que d’autres morts, même si elles avaient été difficiles à vivre, ne m’enlevait pas ma paix profonde. Je me suis souvenu, entre autres, d’un autre accompagnement que j’avais fait quelques années auparavant, un homme atteint d’une tumeur inopérable au cerveau. J’ai visité cet homme à toutes les semaines pendant plusieurs mois, mais je ne me suis jamais senti totalement à l’aise avec lui. J’avais pourtant accompagné bien d’autre personnes très malades avant lui. Alors, pourquoi ce malaise? C’est pendant ces session de counseling que j’ai finalement compris pourquoi la maladie de François et celles de certaines autres personnes que j’avais connu dans le passé m’avaient tellement perturbé, beaucoup plus que celle de d’autres personnes dont les maladies n’étaient pourtant pas moins sérieuses.

Ce n'était pas la mort comme telle qui me troublait tant, mais la cause de la mort. Je me suis rendu compte que quand une maladie atteignait le cerveau d’une personne, cela faisait surgir une anxiété profonde en moi. Plus ou moins inconsciemment, j’avais toujours perçu mon cerveau comme le siège de mon identité. S’il était atteint, s’il mourait, c’est mon identité-même qui était perdue.

Prendre conscience de cela m’a permis, avec le temps, d’apprivoiser même les morts qui surviennent à cause de maladies qui atteignent le cerveau. Elles ne me hantent plus comme elles le faisaient, sans que je le sache, auparavant. Quand je visite François maintenant, je peux le faire sans que ma paix profonde soit affectée. J’ai aussi compris que l’identité de François et la mienne ne dépende pas de notre cerveau. Même sans ses facultés mentales, François demeure la personne unique qu’il a toujours été et qu’il sera toujours… même après sa mort. La mort n’a pas de prise sur qui il est ou qui je suis en profondeur.

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