Certains souvenirs d’enfance, quand ils remontent à la surface, me parviennent toujours chargés d’une émotion particulière, comme si cette émotion faisait partie intégrale du souvenir. L’expression « lac sans fond » m’est revenue en mémoire récemment et, avec elle, la charge émotive qu’elle générait en moi quand j’étais petit gars : un sentiment intense d’anxiété.
Je ne m’étais jamais arrêté pour réfléchir à
pourquoi cette émotion était ainsi collée à l’image que je me faisais d’un lac
sans fond. Je crois que c’est lié à des expériences vécues dans mon enfance. À l’âge
de quatre ou cinq ans, je me suis retrouvé dans une maison d’accueil avec deux
de mes frères plus jeunes que moi. Je ne connaissais pas le couple à qui nous
avions été confié. Je ne comprenais pas pourquoi nous étions là, ni pourquoi
mes parents et mes grands frères n’étaient pas avec nous. Pour un petit
bonhomme de mon âge, c’était comme si les fondements même de mon identité et de
ma sécurité avaient soudainement été retirés de sous mes pieds. Je n’aurais
évidemment pas pu l’exprimer ainsi à ce moment-là, mais la terre ferme qu’avait
été ma famille était disparue et je me retrouvais devant un gouffre. Sans doute
que l’image d’un lac sans fond évoquait en moi – et évoque toujours – le
sentiment de perdre pied, de ne pas pouvoir trouver d’assise et d’être
engouffré dans des profondeurs où même la lumière ne peut plus pénétrer.
J’ai ressenti ce gouffre à d’autres moment
de ma vie : après l’infarctus que j’ai subi à l’âge de 39 ans; dans les
quelques années qui ont suivi ma retraite de l’enseignement; pendant la maladie
de mon frère François…
Avec le passage du temps, je prends de plus
en plus conscience du fait que les événements qui m’ébranlent, me font perdre le
contrôle et me donnent le vertige pointent vers un abîme qui n’est pas
extérieur à moi mais intérieur. Le lac sans fond, c’est moi. Il n’y a pas de
fond, pas de limites à mon désir de vivre pleinement, de trouver la joie et la
paix, d’aimer et d’être aimé. Les événements externes ne font que me révéler la
présence de cet abîme de désir en moi.
Il m’arrive encore aujourd’hui de
quelquefois sentir que je perds pied. Toutefois, le sentiment d’anxiété n’est
plus l’émotion dominante quand cela m’arrive. Il s’est graduellement opéré en
moi un changement de regard sur ces abîmes, petits et grands, qui surgissent
occasionnellement dans ma vie et celles des autres autour de moi. Comme le
bassin d’un lac existe pour accueillir et retenir l’eau qui viendra le combler,
le « sans fond » en moi, le désir sans limite qui m’habite, est là
pour accueillir une présence qui, elle aussi est inépuisable et sans limites et qui seule peut combler l'abîme :
l’Amour de Dieu.
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