Nous étions neuf dans notre petit bungalow qui n’avait que
deux chambres à coucher dont l’une était si petite qu’il n’y avait de la place
que pour un lit superposé et un petit bureau. Le salon, la salle à dîner et le
solarium servaient donc tous de chambres à coucher pour les enfants. Les devoirs
se faisaient sur un coin de table dans la cuisine au milieu de tout le va et
vient de la maisonnée. Été comme hiver, nous passions notre temps à l’extérieur
de la maison autant que possible. Le tout petit terrain de notre propriété, les
quatre rues du quartier, les champs de fermes environnants et la forêt au-delà
de ceux-ci constituaient notre grand terrain de jeu.
Je ne savais pas que nous étions « pauvres ». Nos
voisins d’à côté vivaient dans un ancien poulailler converti en logis. Ils
étaient 11 à vivre dans moins d’espace que nous en avions. Les pauvres,
c’étaient eux.
Nous devions prendre l’autobus scolaire pour aller à l’école ou
marcher une bonne distance pour nous y rendre. Comme notre quartier était mal
famé et en dehors du territoire de la ville, nous changions d’école souvent.
Les écoles ne voulaient pas des jeunes de la rue Centre. Je suis allé à quatre
écoles primaires différentes en sept ans.
Les « batailles » entre les jeunes du quartier
étaient fréquentes et j’étais quelquefois impliqué dans celles-ci. Mon frère
François m’a dit une fois que, quand je me battais, j’étais comme un enragé. Il
avait probablement raison. Je me souviens d’une de ces altercations avec
« Ptit Jean » qui avait la réputation d’être un batailleur féroce.
Même s’il était plus petit que moi, j’avais peur de lui. Cette peur s’est
transformée en rage et j’ai foncé sur lui à toute allure. Je me suis vite
retrouvé par terre sur le dos. Ptit Jean s’était servi de la force de mon
accélération pour me basculer par terre comme le font les amateurs de judo. Je
me souviens d’avoir senti de l’admiration pour ce petit homme qui pouvait faire
une chose pareille : au lieu de contrer ma force par la force, il s’était
tout simplement servi de son corps comme pivot pour me projeter par terre.
Sans m’en douter à ce moment-là, cet incident a été le début
d’un apprentissage qui a duré toute une vie. J’ai lentement appris que la
meilleure façon de vaincre un « ennemi » - que cet ennemi soit en
face de moi ou en moi - ce n’était pas de le contrer avec une force plus
grande, mais de trouver un pivot pour en faire un « ami ». J’ai appris
que la blessure est transformée en guérison par le pardon; qu’un cœur plein
de peur s’ouvre à l’accueil s'il accepte de faire un pas de confiance; que
la faiblesse devient force de vie quand elle est enveloppée de compassion…
"Les ténèbres ne peuvent pas chasser les ténèbres; seule la lumière peut faire cela. La haine ne peut pas chasser la haine; seul l'amour peut faire cela." - Martin Luther King Jr.
No comments:
Post a Comment